Le zazen

Richard Goulet

Richard «Tai Gen» Goulet
5e dan kendo, moine enseignant de zen
Publication originale : 2017-06-03

Zen et arts martiaux

Introduction par Yves Déry:

Depuis de nombreuses années, j’ai un livre à portée de main, que je consulte de façon régulière. Ce bouquin inspirant, c’est celui du maître de zen Taisen Deshimaru, un disciple de maître Kodo Sawaki, qui me rejoint pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’il s’intitule «zen et arts martiaux», parce qu’il est bien écrit et parce qu’il fait un lien fantastique entre les arts martiaux et la méditation zen. Il faut savoir que le maître Deshimaru a été fortement influencé par les arts martiaux, car son grand-père était un samouraï avant la Révolution Meiji. Taisen Deshimaru est donc influencé par l’esprit du Bushido et par les arts martiaux — son grand-père lui enseigne le Kendo et le Judo dans sa jeunesse — ce qui lui donne toute cette crédibilité dans son manuscrit. Quand j’ai su que maître Goulet, 5e dan de kendo, acceptait, par l’entremise de mon ami et professeur Gilles Valiquette, d’écrire une chronique sur le zen, j’ai été enthousiasmé immédiatement. Il faut que vous sachiez que Sensei Goulet est professeur de kendo, mais enseigne aussi le Zen. Il a étudié, pratiqué puis enseigné le Zen à l’association Zen de Montréal à partir de 1980. Il fut ordonné moine en 1983 par Étienne Zeisler, un proche disciple de Maître Deshimaru. Sa chronique est donc des plus intéressante. Je nous considère très chanceux que maître Goulet prenne sa plume pour nous. Je vous souhaite une bonne lecture !

Le zen et les arts martiaux.

Zen, petit mot de trois lettres, héritier du mot sanscrit « dhyana » qui pourrait se traduire par méditation ou recueillement. Aujourd’hui on utilise le mot zen à toutes les sauces. Depuis les années 60, le Zen est apparu tranquillement dans notre culture. Les films, les livres, les journaux ont tous bien contribué à répandre ce mot japonais. Cette pratique de méditation bouddhiste a été maladroitement confondue avec un simple état d’être. Il s’est fait manipuler par un inconscient collectif qui a su si bien l’emprunter pour décrire l’attitude calme de la vie. Depuis on peut dire que « zen » est un mot exotique à la mode. On le prononce et tout le monde ne peut qu’avoir à l’esprit cette image d’un état paisible et serein. Quoi qu’il en soit, le Zen va bien au-delà de cet imaginaire de béatitude.

DEPUIS BOUDDHA

L’origine du zen remonte jusqu’en 429 av. J.-C. En Inde, un prince du nom de Shidartha quitta sa famille et sa vie fortunée pour trouver une signification à la vie et à la mort. N’ayant pu solutionner son problème, il abandonna l’ascétisme des yogas traditionnels pour s’adonner à une concentration juste. Il s’assit sous un arbre, les jambes croisées et le corps bien droit en contrôlant sa respiration. Au matin du huitième jour, il devint « Bouddha », l’illuminé. Dès lors le Zen naquit. Le Zen c’est tout simplement l’assise du Bouddha.Vers 534, grâce à Bodhidharma, le Zen atteignit la Chine. Mais alors que différentes formes de Bouddhisme se répandirent au Japon dès le VIe siècle, le Zen n’apparut vraiment qu’au XIIe siècle en plein moyen-âge nippon. Il marqua profondément la féodalité japonaise ainsi que l’élite des samouraïs et son fameux code d’honneur. Le Zen n’influença pas seulement les arts martiaux, mais aussi tous les arts culturels. Le Zen est maintenant répandu dans le monde entier. Son expansion en Occident s’est faite très rapidement dans les années 40 avec les écrits de Dr T. Suzuki, mais d’un caractère trop livresque le Zen devenait intellectuel. C’est seulement depuis l’arrivée de Maître Taisen Deshimaru en France en 1967 que le Zen devint accessible, grâce à un enseignement vivant qu’il a su introduire en occident.

ZAZEN OU L’ASSISE JUSTE

Si vous désirez savoir théoriquement ce qu’est le Zen, vous ne le saurez jamais, parce que ce n’est pas une théorie, mais une pratique. Le Zen c’est l’expérience d’une posture dans une assise juste. Par cette posture vous arrivez à rééduquer votre vigilance, dans le calme et dans l’équilibre. Cette posture c’est « zazen ». Assis au centre d’un coussin rond « zafu », les jambes croisées en lotus, en semi-lotus ou en tailleur, on pousse fortement le sol avec les genoux. Le bassin est basculé vers l’avant, le dos est droit, le menton est rentré, la nuque est redressée et on pousse le ciel avec la tête. La colonne vertébrale est en extension tandis que les épaules et les bras sont complètement détendus. La main gauche repose dans la main droite, paumes vers le haut, les pouces sont horizontaux et se touchent légèrement. Les yeux sont semi-ouverts et le regard est déposé au sol devant soi. La bouche est fermée, la langue touche le palais et la respiration se fait par le nez. L’expiration qui est longue calme et silencieuse établit un rythme puissant et naturel. On laisse passer les pensés et l’état d’esprit s’installe sans qu’on l’ait vraiment recherché. Il n’y a rien de plus à savoir, rien de plus à faire.

ZEN ET ARTS MARTIAUX

Les arts martiaux sont un moyen de préparation à l’union corps-esprit. Le corps doit apprendre une technique parfaite, quel que soit l’art martial pratiqué. Il doit arriver à la maîtriser totalement. Mais il faut également apprendre à maîtriser l’esprit qui doit être libre de tout : il ne doit pas se concentrer d’avance sur l’action, car il se troublera facilement. Seul un mental libre de toutes pensées est disponible à tout instant et permet de percevoir intuitivement l’impulsion physique et mentale de l’adversaire. Ainsi le Zen dans les arts martiaux n’est pas seulement un exercice visant un résultat de concentration en combat, mais il est surtout un développement de la pensée intuitive. Il faut savoir oublier tout ce qu’on a appris par cœur et laisser faire ce qui semble venir naturellement. Il ne faut plus penser à la technique, il ne faut plus vouloir, car à un stade la volonté devient un obstacle. Il faut simplement être ici et maintenant, prêt à tout, c’est-à-dire à rien. C’est une attente sans but, le corps est à la fois détendu et éveillé. Corps et esprit sont alors en accord parfait. Alors dans le feu de l’action, au cours d’un combat, l’étincelle peut jaillir et donner une nouvelle dimension, une efficacité inconnue de l’homme. En plaçant l’intuition au-dessus de la raison, le Zen fait surgir ce qui disparaît avec le développement intellectuel de l’homme, c’est-à-dire un état d’être favorisé d’une grande force naturelle et d’une véritable sagesse. Les chemins apparemment aussi opposés que la combativité de l’art martial et de la passivité du Zen sont en réalité convergents. On peut même dire que le Zen est un art martial, et que l’art martial est du Zen, car ils ont la même saveur. « Si vous pratiquez zazen, inconsciemment, naturellement, automatiquement, vous pourrez arriver au secret des arts martiaux. Il n’est pas forcément nécessaire d’utiliser la technique. Les autres ne s’approcheront pas. Et il ne sera pas nécessaire de combattre. La véritable voie du « budo » n’est pas compétition ou conflit : elle est au-delà de la victoire et de la défaite, au-delà de la vie et de la mort ».